Quel veinard je fus d'habiter pendant 5 ans et demi cette ville sublime méritant bien d'être surnommée Bône"la coquette"! Son nom évoque pour moi une foule de souvenirs: La découverte des moustiques et de la moustiquaire dans notre première résidence au sein d'une caserne à proximité de l'école Victor Hugo, l'apprentissage du parler bônois dans l'immeuble de la rue Messmer près du grand marché couvert et les joies de la vie à la campagne au Parc à fourrages, sur la route qui mène à la basilique de Saint Augustin. De 8 à 13 ans, j'ai parcouru cette ville, profité de ses belles plages, pêché sur le port, marché sur la route de Bugeaud et déambulé sur le cours Bertagna. Certes, je pourrais en parler de Bône mais personne ne peut présenter cette ville comme le fait mon ami Claude, un authentique bônois, qui n'a quitté sa ville natale qu'en 1971. A ma demande, il a eu la gentillesse de présenter sa ville préférée et je l'en remercie du fond du coeur.
En 1830, au moment du départ de
l'expédition contre le Dey d'Alger,CharlesX et le ministère Polignac avaient envisagé la cession de Bône et de Bône seulement à la France. Ce projet qui n'a évidemment pas survécu à la
Révolution, prouve à quel point l'humble bourgade d'alors et son illustre aïeule Hippone tenaient une place privilégiée dans le coeur des Français.
Bône n'avait ni la grandeur austère de Constantine, ni la magnificence d'Alger. Elle avait une beauté discrète mais envoûtante. Ce charme indéniable, elle le devait à son site unique. La ville
était belle sans le moindre artifice, mer, côte, montagne s'accordant pour lui faire une séduisante parure.
La ville qui dépassait 120 000 habitants en 1962, dont 50 000 d'origine européenne, se classait au quatrième rang des villes algériennes. La permanence d'une grande cité en ce point de la côte
tient à la vocation urbaine du site et de la position. Bône et surtout sa rade, ont de tout temps attiré les navigateurs et les marchands. Les eaux profondes et calmes de son golfe admirable et
tutélaire étaient très appréciées par les navigateurs fuyant les tempêtes et recherchant un abri sûr.
Cette étonnante vitalité, Bône la devait aussi à la richesse de sa plaine qui s'étirait jusqu'en bordure de mer. La plaine de Bône a connu la prospérité depuis le développement de la viticulture.
Lorsqu'en 1875, le phylloxéra détruisit le vignoble en France, l'Algérie dut subvenir à la consommation de la métropole. Les terres algériennes et notamment celles de la plaine de Bône étaient
propices à la culture de la vigne. La viticulture fut essentiellement l'oeuvre de particuliers et de sociétés pourvus de capitaux: Les domaines des Fermes d'Hippone à Duzerville, des Fermes
françaises Saint-Vincent et des Fermes françaises Daroussa à Randon, du Chapeau de Gendarme à Mondovi étaient les modèles du genre. Cependant, la culture de la vigne et la vinification n'étaient
pas la seule richesse de la plaine dont les terres chaudes et humides se prêtaient aussi parfaitement à la culture du tabac et du coton.
Cet essor économique attira une progression inouïe de sa population à forte proportion d'immigrants italiens et maltais. Pouvait-on trouver ailleurs l'exemple d'une ville douée d'une telle fièvre
de croissance, capable de passer en 130 ans, en dépit de trois guerres, de 1500 à 120 000 âmes? Aux vieux quartiers de la vieille ville dont les ruelles étroites et tortueuses s'achèvent parfois
en culs-de-sac, s'ajoutèrent, à l'ouest d'abord, des quartiers modernes, aérés, aux rues rectilignes et larges convergeant vers l'ancienne porte de Karézas. Puis, ce fut la naissance du faubourg
de la colonne Randon, au pied du massif de l'Edough. Enfin, avec l'attrait du bord de mer, la ville s'étendit le long du littoral.
On ne peut pas parler de Bône, sans évoquer son incontournable cours Jérôme Bertagna. Véritable agora où les jeunes et moins jeunes se donnaient rendez-vous, le cours Bertagna alignait jusqu'à la darse la perspective de ses immeubles cossus et de ses rangées de ficus et de palmiers. C'était le coeur de la ville où l'on venait se promener, faire quelques emplettes, commenter les évènements de la cité et...flirter. De nombreuses brasseries: le café de Paris, l'Hôtel d'Orient, le Maxéville, offraient aux badauds l'ombrage de leurs terrasses. On venait y prendre l'apéritif qu'accompagnait la traditionnelle"kémia" ou savourer les renommés créponnets de chez Fanfan.
LE COURS BERTAGNA
La ville pouvait aussi s'énorgueillir à juste titre de ses environs. Pour aller au Cap de Garde qui projetait dans les flots son promontoire de calcaire gris, la route de la corniche longeait la mer et serpentait au milieu des genêts, aloès et agaves. Les noms qu'on y rencontrait étaient bien poétiques: plage du Lever de l'Aurore, baie des caroubiers, baie des corailleurs, plage du Belvédère.
Du haut de la colline aux oliviers sur laquelle se dressait la basilique Saint Augustin, les promeneurs étaient récompensés des efforts d'une courte ascension par une vue admirable sur la plaine et le golfe de Bône. Dans son"Saint Augustin", l'académicien Louis Bertrand a, si bien, évoqué la magie de ce lieu agreste, enveloppé de paix. Ecoutons-le parler de cette"large baie arrondie en courbes molles et suaves comme celle de Naples. Tout autour, un cirque de montagnes; les étages verdoyants de l'Edough, aux pentes forestières...Azur de la mer, azur du ciel, nobles feuillages italiques. C'est un paysage lamartinien, sous un ciel brûlant"
LA BASILIQUE SAINT AUGUSTIN
LA BASILIQUE SAINT AUGUSTIN EN 1967
Enfin, une autre promenade appréciée des bônois: le massif montagneux de l'Edough aux portes mêmes de Bône, vêtu de chênes-lièges et de chênes zéens. A 900 m d'altitude et dans un site enchanteur, le village de Bugeaud proposait la fraîcheur de ses sous-bois. Il était, tout l'été, l'Alpe des bônois.
Ah! que tu étais belle, ma ville qui, alanguie, enlaçante, s'étirant mollement sous un soleil ardent, respirait la douceur de vivre.
Claude BARNIER ( Le 28 octobre 2005)
Quelques expressions métaphoriques du parler bônois:
1.Que le cul i te tombe et que le trou i te reste!
2.Qu'i te vienne la gratelle a'c les petits bras!
3.Qu'i te vienne le gobbe et la pécole!
4.Aretenez-moi ou j'i mets un taquet!
5.Ac' les oeils de tes morts, j'me fais des billes-z-agates!
6.Aga-le, i jette le bromedge!
7.Quelle caoulade!
8.Il est tout fartasse!
9.I m'ont niqué la pastèque!
10.J'la eu à ouffe!
Traductions qui ne figurent pas dans les pages roses des dictionnaires:
1.Sorte d'imprécation
2.Sorte de malédiction( gratelle: démangeaison)
3.Gobbe: de l'italien, bossu; la pécole: sorte de lèpre.
4."Arrêtez-moi ou bien je lui donne un coup de poing"
5."Avec les yeux de tes morts,j'aurais de gros yeux"
6."Regarde-le! Il jette un appât"
7."Quelle erreur!"
8."Il est tout chauve!"
9."Ils m'ont blessé à la tête!"
10."Je l'ai eu sans payer!"
Claude BARNIER
C'est à Bône que j'ai appris à jouer aux billes et ce jeu comportait plus de paroles que de tirs ou lancers.Voici un extrait de dialogues utilisés par les joueurs:
"Ta tiiiit bourvinan kix et grand à qui m'arrête!
-Entention, j'ai dit kix pas kix avant toi!
-Atso! tu joues comme une gamate!
-A la chala qui te vient le gobbe!
-A toi le gobbe et au c..!
-Avec les zosses de tes morts, je fais une canne à pêche pour pêcher..(censuré)
-Fais bien entention, je vais te niquer le beignet! etc...
Avec les traductions de Claude, vous saisirez aisément la signification des injures mais pour la première phrase voici l'explication:
"Ta tiiiit"= Ta tête. Si on touche la bille de l'adversaire sans avoir dit "Ta tiiit" le tir n'est pas valable.
"Bourvinan": si on touche la bille de l'adversaire et qu'elle ne fait pas plus de trois tours sur elle-même, si on oublie de dire "Bourvinan", ça ne compte pas.
"Kix": si la bille heurte le pied d'un joueur ou d'un spectateur, on peut prolonger sa trajectoire si on a dit kix avant de jouer.
Si on ne parvenait pas à se mettre d'accord, on en venait rarement aux mains; chacun retirait ses billes et on se quittait avec le bouquet final du feu d'artifice d'injures bien de chez nous.
Quelques diapositives de Bône sont placées dans la rubrique ALBUM DE PHOTOS et dans le DIAPORAMA
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